Le 9 mars 2021 s'est tenue une conférence sur les conséquences du Brexit organisée par ADN Tourisme et animée par Sylvain Kahn, professeur de géographie à Science-po Paris et spécialiste de l'Europe.
L'objectif de cette conférence était de dessiner les impacts possibles de cet événement économique majeur sur notre activité touristique, et l'évolution des attentes des futurs visiteurs britanniques. Voici la synthèse de la conférence en 8 questions :
1) Sur quels domaines économiques porte le Brexit ?
Avant tout le Brexit, comme son nom ne l'indique pas, est un accord et non un désaccord. Ce document de 1400 pages détermine les échanges futurs entre le Royaume-Uni et ses anciens partenaires européens.
Cet accord porte sur l'échange de biens, pas sur l'échange de services. Autrement dit, il ne concerne pas le tourisme ce qui est à la fois un mal et un bien.
D'un côté, la capacité de mobilité des touristes sera inchangée dans l'avenir (ex. le transport de passagers) mais les échanges risquent d'être moins fluides qu'avant (ex. files d'attente aux frontières).
Ces barrières surtout administratives présentent un surcoût que l'on estime à +6,5% sur nos futurs échanges transfrontaliers.
2) Pourquoi les touristes britanniques représentent un enjeu pour l'Aisne et la France ?
Les Britanniques sont les premières clientèles des campings de l'Aisne, et figurent systématiquement dans le top 3 des visiteurs étrangers en hôtellerie, meublés et chambres d'hôtes et à Center Parcs Aisne.
En France, ils sont partout : c'est la 1ere clientèle internationale. Et pour cause : 66% des Britanniques sont déjà allés en France !
3) Concrètement, qu'est-ce que le Brexit va changer pour les touristes Britanniques lorsqu'ils viendront dans l'Aisne ?
3 exemples concrets :
1) beaucoup de familles britanniques aiment voyager avec leur propre garde d'enfant. Aux yeux de nos autorités, la fameuse "nanny" est une salariée considérée comme une travailleuse détachée et ne sera donc plus autorisée à exercer chez nous. Cela pourrait conduire les familles britanniques à privilégier des destinations moins regardantes sur ce point, ou chercher une nounou sur leur lieu de vacances... à condition toutefois qu'elle sache s'exprimer en anglais !
2) les Britanniques et leur animal de compagnie, c'est une grande histoire d'amour ! Hélas, l'accord du Brexit ne leur permettra plus de les emporter lors de leur voyage en France.
3) depuis quelques années, le tarif de votre forfait téléphonique est le même partout dans l'Union Européenne. Une obligation des opérateurs qui ne peuvent plus appliquer de hors forfait aux Européens lorsqu'ils séjourent dans l'UE. En quittant l'UE, les Britanniques perdent cet avantage (à moins de passer des accords bilatéraux avec certains pays / opérateurs, ce qui prendra du temps).
4) Qui a voté pour le Brexit ? Qui a voté contre ?
Les Brexiters sont majoritairement anglais. Les Anglais ont voté à 60% pour quitter l'UE. Au contraire, les Ecossais, les Irlandais du Nord et les Gallois ont majoritairement voté contre.
Cette situation a créé une véritable cassure au sein du peuple britannique entre "Brexiters" et "Remainers" (opposés au Brexit), qui a laissé des plaies encore vives dans certaines familles.
En tant qu'hébergeur ou personnel accueillant, soyez attentif à ce traumatisme et évitez d'en parler d'une manière trop directe avec eux.
5) Les Britanniques ont-ils toujours envie de visiter l'Aisne / la France ?
Bien sûr ! Qu'ils soient Brexiters ou Remainers, les Britanniques ont toujours la même envie de visiter le monde et notre région en particulier.
6) Les attentes des touristes Brexiters sont-elles différentes de celles des Remainers ?
Il est possible que vous ressentiez des différences dans les attentes des uns et des autres.
- Les Remainers ont une soif de voyage peut-être encore plus forte qu'avant. Ils aimeront : la chaleur, le soleil, les paysages naturels, nos champs de bataille, notre route du Champagne, nos alcools, la gastronomie, la pratique du vélo et les matches de football. Le message à leur délivrer : "Soyez les bienvenus chez vous / chez nous !"
- Les Brexiters ont en fait les mêmes goûts thématiques que les Remainers, mais le message à leur délivrer est différent. Très attachés à l'anglicité, ils seront sensibles à ce qu'on leur parle anglais, et à la considération qu'on portera à leur pays, à la couronne. N'hésitez pas à leur parler de la série "the Crown" dont ils sont de grands fans ! Ce qui les motive à visiter la France ? Un certain goût pour l'exotisme, l'envie de dépaysement sans pour autant renier leurs valeurs. A ces visiteurs voici le message à délivrer : "Bienvenue dans la France exotique qui vous aime".
7) Quelles sont les chances des Hauts-de-France/de l'Aisne de continuer à recevoir des touristes Britanniques ? (par rapport aux autres régions de France)
Nos chances sont bonnes pour différentes raisons :
a) Si parfois vous souffrez de la fraicheur du climat axonais ou de notre pluviométrie, rappelez-vous que pour nos amis britanniques, nous sommes une destination méridionale ! Et qu'à ce titre nous comblons déjà leur besoin d'exotisme et de soleil.
b) De par sa proximité avec le Royaume-Uni, notre département peut viser une cible de Britanniques en court séjour, ce que ne peut pas faire la Bourgogne. Le circuit historique de Laon, avec une majorité de participants britanniques sur un seul week-end, en témoigne.
c) Le Comité Régional du Tourisme et des Congrès des Hauts-de-France, très investi dans l'accueil de cette clientèle, poursuit ses efforts de communication vis-à-vis des "empty nesters", ces couples quinquas libérés de leurs enfants et désireux de pratiquer le court séjour dans nos contrées. Plutôt aisée, cette cible ne devrait pas trop changer ses habitudes après le Brexit.
8) Quels sont les freins les plus importants pour les visiteurs britanniques ?
Il y a un risque bien réel d'appauvrissement des Britanniques comme ce fut le cas lors de la crise de 2008 qui engendra une baisse de la livre sterling. D'ores et déjà, en quelques mois, le Brexit a engendré la perte de quelques 500 000 emplois au Royaume-Uni, 300 000 en Allemagne et 150 000 en France. Certaines couches de la population risquent de mener des arbitrages dans leur budget vacances engendrant des reports de voyage.
Mais le plus gros risque qui pèse sur cette cible à court terme, c'est la crise sanitaire qui sévit au Royaume-Uni, empêchant les Britanniques de se rendre en France (à moins de subir une quarantaine plus que dissuasive).
En conclusion les véritables conséquences du Brexit sur notre fréquentation touristique ne pourront se mesurer qu'au terme d'une année de fréquentation "normale" c'est-à-dire pas avant 2022. De quoi nous laisser le temps de leur préparer des produits adaptés et toujours plus attractifs !